À la rencontre de la réalité congolaise

intervention en nutrition au congo

L’équipe de TSF s’est entretenue avec trois médecins de la République du Congo : Dr. Dodoua Ray, Dr Michel Wonya – tous les deux des chefs de projet pour TSF – et Dre Grace Mabiala – qui a travaillé pour TSF de 2019 à 2022 dans nos projets à Bétou comme médecin clinicien. 

Une réalité avec plusieurs couches de difficultés

Au nord de la République du Congo se trouvent des villages éloignés des grandes villes, où la qualité de vie est affectée par divers facteurs. La distance, les moyens de transport, les changements climatiques et les sources de revenus sont tous des éléments qui jouent un rôle important dans la santé de la population locale.

La Likouala, le territoire le plus au nord du pays, est l’un des « plus reculés [et où] il y a une précarité. La majorité des réfugiés qui sont au Congo, plus de 80 %, [proviennent] de la République centrafricaine et de la République démocratique du Congo. Une grande partie est basée [là] donc ça vient s’ajouter à un problème déjà existant. »

Ayant l’agriculture et la pêche comme étant les principales sources de revenus, ce n’est pas toujours garanti qu’il y aura des bonnes récoltes. « C’est une activité saisonnière. Ce n’est pas tout le temps. Il arrive des moments où on ne trouve pas du poisson et lorsqu’on ne trouve pas de poisson, c’est la faim, » explique Dr. Dodou Ray.
  
Il ajoute qu’une mauvaise saison affecte inévitablement l’accès aux soins de santé.  

« Il y a beaucoup de cabinets privés parce que l’infrastructure hospitalière en tant que telle ne permet pas de répondre aux besoins de la population. Les gens préfèrent aller dans les cabinets privés et pour cela il faut avoir de l’argent. Et lorsqu’on n’arrive pas à vendre son poisson, on ne peut pas avoir accès à ces cabinets-là. »

Lorsque c’est possible d’accéder aux soins, le manque de matériel spécifique est une autre entrave à un bon diagnostic. Comme l’explique Dre Grace « même dans les hôpitaux qui sont là sur place, il y a encore certains soins qui sont limités. À Bétou, il n’y avait pas d’appareil échographique avant Terre Sans Frontières. »

« Il y a des problèmes qui surviennent pendant la grossesse, comme un placenta previa, une hémorragie rétro placentaire. Mais ça, ce sont des diagnostics qui sont échographiques. Donc si tu n’as pas d’échographie, tu ne le sauras que lorsque la femme va accoucher, et généralement ça devient irrévocable. Après on est obligés de faire une césarienne qui aurait pu être évitée, » explique Dr. Michel Wonya.

Malheureusement, les centres de santé qui ont les équipements nécessaires sont loin, et ce n’est pas toujours possible d’y référer les gens. « En termes de distance, c’est très éloigné et s’il y a une urgence absolue on ne peut pas parcourir 200 kilomètres pour pouvoir trouver la solution. »

Ces 200 kilomètres, parcourus dans des pirogues motorisées sur des voies fluviales, peuvent être fatals.

« Si une femme veut accoucher et que l’accouchement est dystopique, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas accoucher par voie basse, il faut faire la césarienne. On doit mettre cette femme-là dans une pirogue motorisée pour l’amener à Gamboma. C’est cinq heures de temps de trajet pour pouvoir faire la césarienne. En termes de risques pour la mère et l’enfant, c’est très élevé, » explique Dr. Ray.

Cette réalité devient encore plus critique lorsque les inondations – qui étaient cycliques auparavant et qui ont été complètement chamboulées avec les changements climatiques – accablent la région.

« Lorsqu’il y a une inondation, tous ces endroits-là, sont sous l’eau. Ce qu’on craint pendant cette période, ce sont les maladies, par exemple, le choléra et les maladies vectorielles puisque tout ce qui est sanitaire est déversé dans l’eau, la même eau que les personnes consomment jusqu’à ce qu’elle se retire. »

habitants du nord du congo en périphérie d'une rivière
médecin Grace Mabiala avec une machine écographique
pirogue dans une rivière au nord du Congo

Une journée dans la vie d’un médecin de TSF  

Les docteurs Ray et Wonya, chefs de projets chez TSF, s’occupent de planifier et de coordonner les activités menées par leurs équipes sur le terrain.

Les conditions sont parfois difficiles et doivent être tenues en compte. « Beaucoup de populations sont déplacées, les infrastructures sont détruites. Ce sont des missions qui se [déroulent] sur la terre ferme et aussi sur la voie fluviale. »

Quelquefois, le personnel doit aller « dans les zones situées complètement dans l’eau où les agents de santé arrivent difficilement, où la majorité des enfants ne sont pas vaccinés. »

Un trajet difficile qui se complète par un travail qui se fait parfois sans eau ni courant. C’est une réalité que le Dr. Ray, originaire de la République centrafricaine, a tout de suite comprise, lors de sa première journée comme médecin sur le terrain avec TSF.

« Je faisais le terrain pour la première fois. Je m’attendais à me retrouver dans un milieu où j’ai tout le nécessaire. C’est-à-dire, les conditions [de travail]. Mais arrivé sur place, je me retrouve dans un milieu où je n’arrivais pas à voir la personne qui est à côté de moi. [C’est] l’obscurité. Il n’y avait pas d’eau. »

« En mon premier jour de travail j’ai eu un baptême de 100 patients que j’ai consulté de 8 heures à 21 heures. Ça m’a vraiment marqué. C’est là que j’ai pris conscience que le problème n’est pas au niveau de la capitale. Le problème est vraiment dans les zones éloignées. »

Aujourd’hui, les Drs Ray et Wonya se déplacent sur le terrain pour faire des suivis et des évaluations de nos actions afin d’assurer le bon déroulement des projets.

Bien évaluer les actions est essentiel, car « s’il n’y a pas d’impact par rapport à notre action à ce moment-là, c’est comme si on n’a pas utilisé l’argent correctement, » ajoutent les docteurs.

médecin de TSF avec des relais communautaires
Dr Ray sur une pirogue
médecins de TSF qui soignent une patiente
consultation d'un médecin avec une foule
médecin de TSF qui pointe une affiche
Dre Grace Mabiala avec une patiente

La solution, nos actions

Face à ce constat de précarité, de manque d’équipement, de distances difficiles à parcourir, TSF a pensé à des solutions qui viennent alléger ces problèmes de différentes manières.

Le premier élément qui est essentiel à considérer est qu’il faut s’allier à la population locale.

« On quitte Brazzaville, on va dans un coin du pays. Il faut s’appuyer sur des gens qui maîtrisent mieux le terrain » explique le Dr Wonya. « Quand on arrive sur le terrain, on s’appuie sur ce genre de personnes en leur donnant une petite formation. Et à leur tour, eux, ils vont auprès des familles, des ménages pour sensibiliser, pour donner l’information. Une fois qu’ils ont compris, on s’assure que la population générale va suivre le mouvement. »

On peut ainsi assurer un meilleur rendement de nos actions en travaillant avec les autorités locales, par l’entremise de relais communautaires.

« Dans les relais communautaires vous trouvez des chefs de famille, des leaders d’opinion dans la communauté, vous trouvez des leaders religieux. Ce sont des gens qui ont un mot à dire, des gens qui quand ils parlent, tout de suite la population comprend. Nous sommes médecins, on peut aller sur terrain et dire il ne faut pas se laver dans cette eau-là, les gens ne vont pas nous écouter. Mais si c’est un relais communautaire qui vient pour dire, voilà, ne faites pas ça, ils vont tout de suite obéir. » 

Parallèlement à cette sensibilisation sociale, nous acheminons parfois des équipements qui peuvent venir grandement améliorer la qualité des soins dans la région. Et avec ces équipements, viennent des formations pour les employés locaux afin que le tout soit bien utilisé et puisse avoir un meilleur rendement.

Un exemple concret est la machine échographique qui a été amenée à Bétou. Dre Mabiala, qui travaillait avec TSF à l’époque, a perçu la différence immédiatement.

« On a eu des formations d’abord pour savoir utiliser ces appareils-là. Deuxièmement, des formations de renforcement de capacités sur la prise en charge des hémorragies du post-partum, sur la physiothérapie, des méthodes un peu naturelles pour permettre aux femmes de se préparer psychologiquement à l’accouchement. Ce renforcement a permis d’aider en termes de plateau technique, et aussi les employés. »

Ces deux solutions favorisent une vision à long terme avec l’idée de renforcer et construire.

mères enceintes assises sur un banc
groupe de jeunes de la république du congo
jeunes garçons au bord d'une rivière

De l’urgence et du développement

Lors des situations d’urgence, nos équipes n’ont pas d’autre choix que de répondre dans l’immédiat.

C’est le cas dans le dernier partenariat entre TSF et divers organismes des Nations Unies à la suite des inondations dévastatrices qui ont touché la région.

Comme l’explique Dr Wonya, il faut penser à « une réponse multisectiorielle pour essayer d’apporter assistance à ces populations affectées. »

Plusieurs éléments sont compris dans les réponses d’urgence. D’une part, il y a des cliniques mobiles où les professionnels engagés « sortent pour aller faire des prestations dans des villages éloignés où les gens n’ont pas accès aux soins de santé. Ils vont passer des nuits, 2 jours, 3 jours. Et pendant les nuits qu’ils passent là-bas, […] ils consultent des gens, ils donnent des médicaments et aussi ils fournissent des soins prénataux aux femmes enceintes et en même temps de la vaccination aux enfants qui ont un âge inférieur à une année. »

Dans ces cas-ci, les soins et les médicaments sont offerts gratuitement. Un aspect qui est, selon le docteur, perçu comme un grand soulagement par « la population et tout le personnel étatique qui est là, impuissant par rapport à la situation. »

Souvent, les réponses d’urgence ont aussi un aspect de nutrition car, comme nous l’expliquaient les docteurs « c’est souvent dans les zones après les inondations où on retrouve le plus grand nombre de cas de malnutrition. »

Lorsque l’urgence immédiate a été améliorée, il arrive que nos équipes puissent commencer des projets avec une vision davantage à long terme, car comme l’expliquent les docteurs, chez TSF, « nous sommes dans l’optique de réduire la mortalité maternelle et infantile mais nous sommes toujours dans cette démarche, là où il faut chercher d’abord la solution in situ, c’est-à-dire, chercher à renforcer la capacité des structures qui sont sur place, de telle sorte que ces structures deviennent indépendantes de tout, de telle sorte que tout se fasse sur place. »

jeune enfant qui reçoit un diagnostic de malnutrition

Présentement, un de ces projets est un partenariat avec le Programme alimentaire mondial (PAM), où TSF prend en charge l’exécution des cantines scolaires dans des écoles primaires des régions éloignées.

Dans cette région, « c’est une zone à forte démographie. Vous pouvez retrouver une fille de, je vais dire comme ça 17 ans, qui peut se retrouver avec quatre enfants à sa charge. Et ce n’est pas vraiment évident de pouvoir s’occuper de ces enfants-là. Une mère comme ça doit envoyer ses enfants à l’école ou bien les envoyer cultiver les champs pour avoir quelque chose à manger, » explique Dr. Wonya.

Le programme du PAM consiste à apporter « à manger aux enfants à l’école et c’est également un moyen pour attirer les enfants vers l’école. On a en face de nous des parents démunis qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts : à la fois nourrir les enfants et les envoyer à l’école et, quelque part, lorsqu’on met de la nourriture au niveau des écoles, ça suscite l’engouement des enfants. Cela permet de corriger les indicateurs en termes de taux d’absentéisme au niveau des écoles. L’enfant veut venir à l’école chaque jour parce qu’il va manger quelque chose. »

Ce programme vient aussi avec un renforcement des capacités des enseignants. Bien que ces derniers fassent de leur mieux avec les ressources qu’ils ont, en bonifiant leurs capacités, on assure un meilleur rendement du projet.

« Il fallait renforcer les capacités des enseignants, des membres du comité de gestion mis en place par le PAM pour mieux gérer tout ce qui est vivres qu’on met au niveau des écoles. Ce sont des gens de la communauté ensemble avec les enseignants, ils ont la charge et la responsabilité de gérer les vivres. »

Le travail se fait conjointement entre TSF et toutes les personnes qui orbitent autour du projet, en partant des enseignants, en passant par les membres du comité de gestion et les parents des enfants.

En fin de compte, le quotidien d’un médecin en République du Congo est étendu tant dans les distances parcourues que dans la débrouillardise qui leur est demandée.

C’est une vocation qui change non seulement la vie de nos bénéficiaires mais aussi celle de ceux qui s’engagent dans notre mission.

Après sa première journée chez TSF, le Dr. Ray a réalisé qu’il faut « mettre de côté nos égos de médecins cliniciens hospitaliers et voir beaucoup plus du côté de la santé publique. »

C’est le cas en particulier dans la région au nord du Congo, où la santé maternelle est critique. Comme le décrit Dr. Mabiala, qui a côtoyé ces populations, « les femmes enceintes à Bétou sont extrêmement jeunes, ce sont des petites filles qui n’ont aucune expérience et parfois leur corps n’est pas prêt à avoir un enfant. »

Pour les médecins de TSF, la santé de leurs bénéficiaires reste leur priorité.

Et pour nous, aussi.

Nos projets en République du Congo

projet d'UNICEF via USAID
projet avec UNICEF
projet en nutrition avec le PAM
projet de TSF avec l'UNICEF