PROGRAMME BOLIVIE

À la rencontre d’Andrée Deschênes

Au début de ses actions en Bolivie, l’équipe de TSF travaillait principalement en santé. Après avoir observé la réalité des communautés locales, on a réalisé que le lien qui lie l’agriculture, l’environnement et la santé est indéniable. Afin d’améliorer la santé, il est essentiel de considérer l’alimentation. C’est pourquoi notre équipe a maintenant un programme qui vise à améliorer la nutrition et la sécurité alimentaire des Boliviens dans la région de l’Altiplano.

Andrée Deschênes est une agronome et agricultrice de Kamouraska. Elle s’est assise avec l’équipe des communications pour discuter de sa passion pour tout ce qui tourne autour du sol, que ça soient les éléments qui y pénètrent ou ceux qui poussent de lui. Elle partira au mois de juin faire un mandat exploratoire avec TSF dans le cadre de son programme en Bolivie.

Décrivez-nous un peu votre parcours dans le monde de l’agronomie. 

J’ai étudié à l’université McGill en agronomie, spécialisée sol et plantes. Dès le départ, ma façon de voir l’agronomie, je voyais ça comme du travail en environnement appliqué et directement. 

Expérience à l’étranger
J’avais choisi l’Amérique du Sud pour, en quelque sorte, me replacer vis-à-vis du métier dans lequel je commençais à vouloir évoluer. J’ai donc été 18 mois en Bolivie, à Santa Cruz en 1983-1984.

Quand on séjourne dans un milieu très différent, ça bouscule les valeurs. Et en fait, ce qui est difficile, ce n’est pas d’être là-bas, c’est le retour ici. C’est vraiment la période où là, tout à coup, notre propre société nous saute au visage. Ça nous précise le sens de l’observation sur ce qui est important. Et pour moi ça continuait d’être l’environnement, la façon d’appliquer l’agriculture de façon à faire évoluer les sols, évoluer vers une situation plus résiliente.

Transfert de compétences
À mesure que ma démarche professionnelle avançait, ça devenait encore plus évident qu’on pouvait travailler autrement. J’ai donné beaucoup de conférences sur les sols à des agriculteurs, où je leur disais de mettre une petite pelle à bord de leurs tracteurs pour vérifier la qualité du travail qu’ils faisaient. Je leur disais « allez, descendez du tracteur, je vais vous montrer quoi aller voir. »

Tester ses hypothèses
En 1998, avec ma copine on a acheté une terre, puis on a décidé de tester nos hypothèses. On a travaillé dans Le jardin des Pèlerins pendant 22 ans. On a planté beaucoup de brise-vent parce que dans le Kamouraska, il vente vraiment beaucoup. Et en plus on est sur un sol très sableux, donc très sec, qui se desséchait d’une façon extrême. On a créé vraiment un milieu différent. Et on s’est aperçu assez vite que tout ce qu’on sait sur ces notions environnementales, et bien les résultats sont au-delà de ce qu’on peut imaginer. On pensait que ça ne serait pas visible avant 20 ans, mais non, après 10, 12 ans déjà, le milieu était déjà plus résilient.

Comment peut-on rendre nos sols plus résilients sans être un-e expert-e ? 

Le sol avant qu’il revienne bio, ça ne prend pas une génération, ça prend plutôt 2 ou 3 rotations de culture. Une rotation d’habitude c’est autour de 4-5 ans. Donc, on ne parle pas de 40, 60 ou 120 ans. C’est quand même quelque chose à l’intérieur de la vie d’une personne.

C’est relativement, aussi, peu coûteux, comparé à bien d’autres façons de faire. Parce que ce qui est coûteux c’est le délai. Tu es obligé pendant un bout de temps d’améliorer ton sol et les revenus sont retardés.

J’ai travaillé avec les champignons mycorhiziens qui rendent les plantes plus performantes. Quand on les étudie, on s’aperçoit que tout est co-évolution. Il y a toujours quelqu’un qui aide quelqu’un dans la nature. Il y a toujours quelqu’un qui menace quelqu’un, aussi. Mais quand on se met à travailler, on s’aperçoit que très vite on évolue ensemble. Puis quand un sol évolue, quand une situation de végétation se remet en ordre, on voit très vite les résultats.

On est dans un contexte où on commence clairement à voir les changements climatiques affecter la planète. Pourquoi s’engager en agriculture bio est une option éco-responsable ?

Un, en travaillant mieux les sols, on préserve le CO₂. Présentement, on perd du CO₂ qui pourrait rester avec les micro-organismes, les organismes du sol, les racines. On le laisse aller dans l’atmosphère, ce qui contribue au changement climatique.

Aujourd’hui, en agriculture, j’applique un engrais pour nourrir une plante. En agriculture bio, en permaculture, en régénération des sols, je mets un amendement. Je mets quelque chose au sol pour nourrir le sol et les micro-organismes, ce qui va soutenir ma plante. En plus, des amendements ce n’est pas des fertilisants chimiques, ils ne passent pas par de l’industrialisation, qui est très coûteuse en gaz à effet de serre. 

Il y a aussi une grande portion qui va directement dans les cours d’eau parce que les sols n’ont pas de structure. On produit des engrais qui demandent beaucoup d’énergie, qui dégagent beaucoup de gaz à effet de serre et on les apporte sur des sols qui ne sont pas résilients, qui ne sont pas capables de bien les absorber parce qu’ils sont déjà dérangés, altérés.

Quelques conseils : utilisez moins d’engrais et vérifiez mieux de quoi vous avez besoin. Utilisez davantage de rotations de culture pour éviter de toujours puiser de la même façon dans un sol, permettant au sol de se replacer. Et on met de l’avant de la diversité !

Quelle est la différence entre agronomie et agriculture ? 

Ce sont 2 métiers différents. L’agriculteur prend son milieu, le fait évoluer, vend ses produits et l’agronome travaille avec plusieurs personnes qui sont dans cette situation. 

Avec les agronomes, on part de l’idée « on a plus d’ennemis que d’amis ». Donc on a des ennemis des cultures, des insectes et des champignons qui détruisent. Mais l’agronomie peut aussi aller dans le même sens que l’agriculture biologique et créer un milieu dans lequel on n’a pas besoin de s’inquiéter à tout bout de champ.

Il y a des agronomes qui travaillent davantage avec l’élevage aussi. Dans ce cas, ça va être plus d’accompagner, ce ne sont pas des vétérinaires. Ils s’occupent des conditions d’élevage, les bâtiments, l’ensemble de l’alimentation, etc.

L’agronomie c’est l’étude des conditions de toutes les parties prenantes, au niveau des animaux mais aussi du sol.

Est-ce que vous pourriez nous expliquer les similitudes et les différences entre l’agriculture au Québec et en Bolivie? 

La Bolivie c’est quand même 2/3 tropical, ce que les gens réalisent peu !

Sur l’Altiplano (où le mandat se déroule), il y a quand même certaines similitudes aussi, parce que ce n’est vraiment pas simple les conditions. On est dans un milieu où la fenêtre de culture est quand même relativement courte, même si c’est presque pareil toute l’année. Il n’y a pas de l’eau tout le temps. L’organisation de la production agricole est pleine de contraintes qui de beaucoup de façons nous ressemblent. Pas à cause du froid, de la neige et du gel, mais surtout à cause des caprices du climat sur l’ensemble de l’année.  

Il y a beaucoup de différences au niveau de la tenure de la propriété du sol, puis la façon, la taille des entreprises. Ici, on est rendu avec des superficies immenses, relativement peu productives. Et là-bas, ils sont pris souvent avec des petites superficies. Je pense que ça c’est quand même une des grosses différences.  

Aussi, ce qui est très similaire, je pense, c’est que la question du marché devient plus importante que la question de l’alimentation propre de la communauté. Ça c’est très semblable parce qu’ici on produit en fonction de l’état du marché. Puis je crois que là-bas, ça s’est beaucoup développé vers ce genre d’approche, donc un peu moins vers la culture vivrière et la diversité de l’assiette pour chacun et davantage vers les cultures d’exportation.  

Quels sont vos objectifs par rapport à ce premier mandat exploratoire ? Pourquoi envoyer un-e agronome québécois-e en Bolivie ? 

Le premier objectif est la prise de contact avec l’équipe là-bas. Mais en même temps, moi, mon but aussi est de catalyser. Des fois, dans l’ensemble d’un projet, les personnes qui sont dedans ne voient plus la vue d’ensemble et la personne qui arrive avec un autre cheminement et un autre univers va le voir davantage. Par les discussions avec l’équipe là-bas, on peut cerner on est où là? Et qu’est ce qu’on fait? Pour ensuite voir ce serait quoi votre plan d’action. Mais dans un premier temps au moins, une sorte de portrait instantané d’aujourd’hui maintenant. 

Consulter le mandat

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans un mandat avec TSF ? 

Je trouvais que du côté de Terre Sans Frontières, l’approche semblait environnementale et respectueuse des gens. Et je pense que c’est ça qui était très important. On peut être respectueux des gens de toutes sortes de façons, mais surtout en travaillant avec et je trouve ça vraiment intéressant. On ne fait pas juste travailler pour déposer quelque chose, puis bye, je repars. Je trouve que c’est intéressant justement de travailler plutôt de façon humble, mais directement avec les gens et directement avec les gens qui ont envie aussi, qui ont une curiosité vis-à-vis du monde dans lequel ils vivent, puis qui ont envie de faire une différence.  

Si vous aviez un souhait pour l’avenir, lequel serait-il? 

Je souhaite à chacun-chacune, d’avoir un jour le bonheur de humer une terre vivante. Autant que possible, et tant mieux, si ça provient de sa propre ferme, ses propres champs, ou encore de son propre jardin ou son parterre de fleurs. Et de réaliser à quel point nous pouvons aider à guérir notre environnement en le comprenant mieux et en travaillant de façon complice avec les arbres, les plantes, les animaux et les microorganismes.    

La santé des sols dans l’agriculture est cruciale pour assurer une meilleure santé auprès des populations qui vivent de la nourriture produite par ces mêmes sols.

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